COMPTE RENDU - Procès de l’accident de Barchetta

Jacques Bresson, Fondateur de la FENVAC, a une longue expérience des procès de catastrophe pour en avoir suivi beaucoup en spectateur engagé. Il était présent le 26 novembre 2010 à l’audience du tribunal correctionnel de Bastia appelé à connaître d’une collision ferroviaire qui s’était produite le 21 novembre 2007.

Le 26 novembre 2010 s’est ouvert au tribunal correctionnel de Bastia le procès de la collision ferroviaire de Barchetta.

Rappel des faits. Le 21 novembre 2007, une collision ferroviaire s’est produite sur la ligne à voie unique reliant Bastia à Corte, sur la commune de Barchetta. 30 personnes ont été blessées dont quatre grièvement.

Le réseau corse est entièrement à voie unique. Pour réguler la circulation, les croisements se font soit dans les gares, soit à certains endroits du parcours appelés EPL, établissements de pleine ligne, constitués d’une courte voie d’évitement reliée à la voie unique par deux aiguillages talonnables, où l’un des deux trains doit s’arrêter pour laisser passer l’autre.

Ce jour-là, le train n°2 venant de Corte devait s’arrêter sur l’EPL de Barchetta pour laisser passer la rame n°3 venant de Bastia, et il ne l’a pas fait. Le train est ressorti sur la voie unique sans s’arrêter et il a tamponné l’autre à proximité.

Responsabilité. Il s’agit selon les deux expertises, judiciaire et administrative, d’une double faute humaine, le conducteur et le chef du train n°2 ayant tous deux été informés à la gare précédente, Ponte Novu, dix minutes auparavant, de leur obligation de s’arrêter à cet endroit. Il y avait eu en effet changement dans leur horaire en raison d’un éboulement que leur train avait rencontré en amont, et qui l’avait retardé de vingt minutes, avec pour conséquence de prévoir le croisement ailleurs.

L’ordre leur en avait été donné par l’agent de circulation de la gare de Ponte Novu sous la forme d’un bulletin rouge chacun, un « ordre de croisement » que tous les deux avaient signé avoir reçu. Dans le même temps, on leur donnait un bulletin blanc d’information plus grand pour leur apprendre … qu’il y avait un éboulement sur la voie (celui qui venait de les retarder).

Comment avaient-ils pu tous les deux en même temps oublier la même impérieuse obligation ? Tout simplement parce que le conducteur discutait avec son chef de train, et distraits par leur conversation, aucun des deux n’a pensé qu’il fallait s’arrêter.

Ils sont les seuls prévenus dans cette affaire, poursuivis pour blessures involontaires par « violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence ».

Interpellé par la Présidente du Tribunal, qui connaît bien son dossier, le chef de train murmure qu’il ne comprend pas, que les bulletins étaient là sur la tablette, il invoque la routine. La Présidente le bouscule : « Peut-on parler de routine quand on a la responsabilité de passagers ?! »

Le conducteur se défend. Le conducteur, lui, a d’autres explications, visiblement bien mûries : on lui a donné un bulletin blanc inutile, c’est lui le coupable, il cachait son bulletin rouge : « Quand je suis arrivé à Barchetta, j’ai regardé mon tableau de bord, il y avait le bulletin blanc, c’est ce papier qui m’a perturbé »…

Son deuxième argument est paradoxal : alors qu’on lui reproche sa conversation avec son chef de train, il pointe la SNCF : « Dans tous les trains de France et de Navarre, l’agent de conduite et le conducteur sont séparés ». En somme, on ne donnerait pas à la Corse les moyens qu’on se donne sur le continent. Maître Lienhard intervient en demandant si cette pratique de parler dans les trains en conduisant est usuelle ? « Oui, lui répond le conducteur, ce n’est pas interdit ! »

Sa troisième défense est de considérer que l’erreur humaine devrait être empêchée par le système de sécurité : « Ce ne serait sans doute pas arrivé si je pouvais entendre la radio, ça m’aurait fait penser… », ou bien « s’il y avait un feu rouge pour me rappeler de m’arrêter… »

Avocat des parties civiles. La parole est donnée à Me Lienhard, pour la FENVAC. Il évoque le sort des blessés, qui ont dû éprouver un sentiment de trahison, parce qu’on se croit en sécurité dans un train. Cette sécurité dépend de chacun des acteurs, mais ici chacun des maillons a failli. Nous sommes dans la bonne enceinte, car il a été porté atteinte à l’intégrité physique des personnes. Nous sommes clairement dans le cadre de la loi Fauchon : les prévenus sont des auteurs directs. Ceux qui sont en position d’agir directement ont manqué à une obligation particulière de sécurité. Il n’appartient pas à la FENVAC de se substituer au ministère public. Mais le législateur a voulu (à travers l’article 2 du Code de Procédure Pénale) que la société participe à la manifestation de la vérité.

Deux mots sur la FENVAC. Nous travaillons avec la SNCF sur la prévention des accidents. Notre constitution de partie civile peut paraître contradictoire. Pourtant, il n’y a pas d’hostilité dans notre présence, mais … une expertise citoyenne dans le sens de la prévention.

Les autres avocats des parties civiles interviennent assez rapidement. Le premier retient l’erreur humaine, plaint les deux prévenus (« il fallait les consoler ! »), mais les considère comme responsables d’une faute d’inattention. Il demande à condamner la SNCF. Les prévenus ont agi dans le cadre de leur fonction. C’est donc la SNCF qui doit en supporter les conséquences et non ses préposés.

Une dernière avocate de PC rejette les arguments utilisés par le conducteur pour dégager sa responsabilité. Si ses clients ne sont pas là pour blâmer, dit-elle, ils souhaitent pourtant que les prévenus reconnaissent leur faute.

Pour Madame le Procureur, certes l’erreur est humaine. Mais comment peut-on oublier un bulletin rouge ? Qu’y a-t-il de plus dangereux qu’un croisement ? Ils le savent. Ils ont suivi une formation spécifique. Elle rejette également les arguments du conducteur : « toute l’organisation prévue a été respectée ». Elle donne sa définition de la faute délibérée : « c’est quand l’action a été en contradiction avec la réglementation. C’est le cas, c’est une faute professionnelle. Invoquer la radio : ce n’est pas dans le règlement. Invoquer un feu rouge : ce n’est pas dans le règlement. Tout ce qui n’est pas dans le règlement contrevient au règlement … Ce qui est délibéré, c’est d’oublier ce qui est majeur dans leur responsabilité de conducteurs d’un train de voyageurs…. La faute en cause justifie ce procès et la sanction pénale.

Elle requiert pour chacun 18 mois d’emprisonnement assortis de sursis simple. Elle requiert également pour les deux prévenus l’interdiction d’exercer désormais ce travail.

L’avocat des prévenus s’attache à démolir le caractère « délibéré » de la faute. Et tente de charger la SNCF en reprenant les arguments du conducteur, il évoque le « scandale des croisements en EPL », il s’attarde sur les circonstances dans lesquelles on a donné à ces hommes les bulletins rouges… « On se retrouve avec une carrière brisée, alors que ce n’est qu’une faute d’inadvertance. Dire que c’est une faute aggravée procède d’une volonté de transgression de la part des auteurs que rien ne permet de relever …Si vous deviez les retenir dans les liens de la prévention, il faudrait reconnaître qu’il n’y a aucune volonté criminogène… L’interdiction d’exercer, ça c’est terrible… La véritable cause de l’accident c’est le système mis en place… Car depuis, une seule décision (politique ou de management ?) a permis qu’il n‘y ait plus de croisement en EPL en Corse ! »

Avocat de la SNCF. « Je dois payer à leur place. Voilà, je devrais m’arrêter là si je n’avais entendu une véritable mise en cause de l’entreprise. Ce n’est pas nouveau, parce que déjà pendant l’instruction, j’ai entendu que c’est nous, la SNCF, qui violions délibérément le règlement !

« Ce matin, on a cité souvent les rapports, le judiciaire et celui du BEA. Eh bien dans ces rapports, à aucun moment, pas un mot sur la responsabilité que la SNCF pourrait avoir ! La SNCF est ici parce qu’on l’a appelée. Les chemins de fer ont été confiés à la région Corse. Il fallait un délégataire et on a choisi la SNCF. Celle-ci a accepté, mais elle n’est propriétaire de rien. Elle est sur un siège éjectable. Demain (le contrat s’achève en août 2011), ça peut être n’importe qui d’autre, Veolia, par exemple. Les trains, le réseau, c’est les CDC, les Chemins de Fer de Corse !

« Quant à la responsabilité des prévenus, un vieux cheminot me disait « Quand t’as un bulletin rouge, tu ne respires plus ! » Le bulletin rouge, on le met par-dessus, évidemment. La SNCF regrette d’être prise à partie. Ça n’a pas été le cas au début, ce n’est que des années après qu’on a cherché des excuses.

« J’ai tout payé. Les victimes ont été indemnisées. Mais les demandes.de la fédération, ) ma gauche (note : la FENVAC), m’ont surpris. Je demande un délai pour répondre et donner mes conclusions. »

Jacques BRESSON
Président d’honneur de la FENVAC


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