JUSTICE l CRASH DE LA YEMENIA AIRWAYS DU 29 JUIN 2009 : EN CETTE FIN DE PROCES, LA PAROLE EST A l’UNIQUE SURVIVANTE ET AUX FAMILLES DES DISPARUS

Alors que le procès touche à sa fin, les victimes se sont succédées à la barre cette semaine, afin d’exprimer parfois avec colère, leur incompréhension et leurs regrets face à ce drame. Parmi les nombreux témoignages, l’un s’est fait particulièrement remarquer lundi : celui de Bahia Bakari, seule survivante du crash.

En effet, depuis le 9 mai, se tient le procès du crash de la Yemenia Airways, ayant fait 152 morts en 2009. Au cours de ce procès, le Tribunal judiciaire de Paris doit juger la compagnie pour homicides et blessures involontaires.

C’est lors de la troisième semaine des débats, que les témoins et les parties civiles ont été appelés à la barre. L’émotion était incontestablement palpable dans la salle d’audience.

Le témoignage attendu de la seule rescapée du crash, Bahia Bakari

Treize ans après les faits, Bahia Bakari, seule survivante du crash de la Yemenia Airways, a témoigné à la barre du tribunal correctionnel de Paris, ce lundi 23 mai 2022. Elle savait que son témoignage était très attendu par les familles de victimes, qui espèrent entendre, à travers elle, le récit des derniers moments vécus par leurs proches.

La jeune femme est aujourd’hui âgée de 25 ans.

Pendant près d’une heure, la rescapée, est revenue sur les onze heures passées dans l’eau, accrochée à un débris de l’appareil, et sur sa vie d’après.

Le 29 juin 2009, à l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle, Bahia Bakari prenait l’avion pour la première fois avec sa mère pour se rendre aux Comores. L’avion a fait une première escale à Marseille, puis est reparti à Sanaa (Yemen). A l’aéroport, les passagers montent dans un troisième avion, « plus petit », « plus vieux », mais « sans être délabré », pour rejoindre Moroni (Comores). Quelques minutes avant l’atterrissage, l’avion entame normalement sa descente. « J’ai redressé mon siège, attaché ma ceinture. Il y avait quelques

turbulences, mais personne n’a réagi plus que ça, je me suis dit que ça devait être normal. Après ça, je prends une décharge électrique. Je me sens tirée vers le haut. Je ne sais pas pourquoi, je n’ai pas plus d’explications, je n’avais aucun moyen d’agir. C’est comme si on avait pris mon siège, on l’avait soulevé, et on l’avait décalé. Après, c’est un vrai trou noir », relate Bahia.

Au milieu de l’océan indien, elle s’accrochera à un débris de l’appareil. Consciente à ce moment-là, elle entendera des voix appelant à l’aide, mais elle ne verra personne, raconte-t-elle. Après quelques heures, l’adolescente finira par s’endormir. Elle se réveillera au petit matin, toujours agrippée à un morceau de la carcasse d’avion, mais cette fois, le silence complet. Elle est seule dans l’océan, au milieu de débris. Elle voit la silhouette de l’île au loin et essaye de nager, mais la mer est très agitée. Elle ne voit pas comment s’en sortir. A ce moment-là, elle pensequ’elle estla seule à être tombée de l’avion. « J’étais convaincue que tout le monde était arrivé, dont ma mère, je savais qu’elle n’aurait pas supporté si j’avais baissé les bras », relate-t-elle.

Treize ans après les faits, même si elle a fait « de nombreux cauchemars » et souffert de « troubles du sommeil », Bahia Bakari, qui travaille désormais dans l’immobilier, va « beaucoup mieux ». Elle a repris l’avion, deux ans après le crash, pour retourner aux Comores sur la tombe de sa mère, enterrée là-bas. Elle regrette néanmoins l’absence de représentant de la Yemenia : « J’aurais aimé qu’ils soient là pour nous écouter. J’aurais voulu des excuses, et surtout des réponses. Et me sentir respectée ».
« Le crash n’était un choc pour personne » selon l’ex porte-parole de Sos Voyages Aux Comores

Plusieurs représentants d’associations ont été auditionnées mardi 24 mai, en qualité de parties civiles. Premièrement, l’association Sos Voyages Aux Comores a déploré le mépris de la compagnie Yemenia à l’égard des passagers de la ligne Sanaa - Moroni. En effet, en raison des conditions de voyage des passagers jugées exécrables et caractérisées par un manque d’écoute, de compréhension, un prix des billets exorbitant mais aussi une insécurité de l’avion et de fréquents incidents, l’association Sos Voyages aux Comores a été créée en 2008, soit un an avant le crash. Des manifestations, des rencontres avec les autorités comoriennes ou encore avec la compagnie avaient été, avant le drame, organisées par l’association. Selon l’ex porte-parole de Sos Voyages Aux Comores « Si nous avions eu un minimum de considération, il n’y aurait pas eu de crash ».

Les représentants de l’association Ushababi ont ensuite été écoutés. Cette association était originellement un mouvement initié en réponse au crash, dans le but de réclamer des réponses car « si nous ne le faisions pas, personne ne le ferait pour nous ». Le mouvement a alors mené plusieurs actions telles que le blocage de l’aéroport de Marseille et des agences qui vendaient des billets de la Yemenia. Leur mission était de « lever la voix pour les sans voix afin que les responsables soient punis ». Les représentants de l’association ont, à plusieurs reprises, refusé d’employer le terme d’ « accident » en revendiquant une « préméditation » en ce que des alertes avaient été lancées bien avant le drame. Selon eux, ce crash n’était pas inévitable et ils accusent la compagnie d’avoir profité de la vulnérabilité des Comores pour asseoir un véritable pouvoir sur l’Etat « Ce procès est le procès de la pauvreté. C’est le procès des petits Etats qui subissent la loi du plus fort. ». Enfin, l’association a pointé du doigt les propositions d’indemnisation dérisoires de la Yemenia Airways, allant de 15 000 à 20 000 euros, que les familles des victimes ont reçues au lendemain du crash, attestant d’un mépris incessant.

L’Association des Familles de Victimes du Crash Aérien de la Yemenia s’est, à son tour, exprimée devant la Cour. Son président, Said ASSOUMANI, a notamment évoqué leur slogan revendicatif imaginé peu de temps après la catastrophe « Yemenia m’a tué, Les Comores m’ont trahi, l’Etat français m’a sacrifié » et a souligné la double peine des familles liée au crash lui même mais aussi à leur traitement post-crash par la compagnie aérienne. L’association a, par ailleurs, souligné le travail acharné des magistrats instructeurs effectué ces dernières années. Le président du collectifs a présenté ses objectifs : améliorer les conditions de voyage sur la ligne aérienne, améliorer les secours à l’aéroport de Moroni et s’assurer que les familles des victimes reçoivent une juste indemnisation.
La douleur des familles des victimes dépeinte devant la Cour

Ils ont perdu une mère, un frère, une cousine, un fils ou encore une épouse enceinte, voire plusieurs proches dans cette catastrophe aérienne. Et pourtant les familles des victimes se sont exprimées avec « dignité » selon la Présidente.

Ces derniers ont patiemment attendu leur tour pour raconter leur histoire. Tous ont pu présenter leur proche disparu tout en soulignant la difficulté du deuil en l’absence de tout corps. « Est-ce qu’ils ont souffert ? » est la question qui résonne constamment en chacun. De la culpabilité s’est faite aussi ressentir : culpabilité d’avoir laissé leurs proches empruntés les avions de la Yemenia qu’ils qualifiaient de « cercueil volant » ou encore de « avion poubelle », culpabilité d’avoir laissé leurs disparus être considérés comme du « bétail », des « animaux ».

La perte de leurs proches a laissé de lourdes séquelles « j’ai appris à grandir avec la douleur, la colère et l’incompréhension et aujourd’hui je fais encore des insomnies et des crises d’angoisse » déclarait une proche de victime tandis que d’autres affirmaient ressentir une grande angoisse quotidienne, accentuée lors des voyages en avion. Si certains ont réussi à se “relever” et à avancer dans cette douleur, ce n’est pas le cas pour d’autres qui ont vu leurs rêves et leur vie s’effondrer depuis ce jour du 29 juin 2009.

Plusieurs sentiments ont été exprimés durant cette semaine d’audition : haine, déception, colère, incompréhension, culpabilité, douleur, tristesse et regrets ; ne laissant pas les juges insensibles à ces témoignages. Tout au long des auditions, la Présidente mais aussi les avocats dont celui de la compagnie aérienne ont su exprimer de la compassion à l’égard des victimes « Parfois, il est difficile d’exprimer la profondeur de ses émotions. La profondeur de votre émotion a très certainement été entendue par tous » a pu déclarer l’avocat de la Yemenia.

De nombreuses parties civiles redoutaient et appréhendaient ce passage à la barre en ce qu’elles ne souhaitaient pas souhaitaient pas se confronter de nouveau à ce crash. Néanmoins, d’après un proche « le procès est arrivé et ce qui était un devoir est devenu une nécessité ». Effectivement, tous souhaitent que le jugement rendu par le Tribunal de Paris serve d’exemple en matière de prévention et de sécurité aéronautique.

L’absence persistante du responsable de la Yemenia déplorée

L’absence du responsable de la Yemenia a été, à nouveau, regrettée par les familles des victimes qui estiment être une injure à leurs morts. Elles ont qualifié de lâche ce comportement et considèrent que « le mépris continue jusqu’à aujourd’hui ». L’avocat de la défense, quant à lui, a justifié cette absence par le contexte

sécuritaire du Yémen dévasté par la guerre tout en affirmant la plus grande coopération du directeur général lors des dépositions. Néanmoins, ces arguments ne semblent pas convaincre les familles des victimes continuellement contrariées par le comportement intolérable de la compagnie yéménite.

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