Pistes de prévention pour la sécurité des missions médicales sanitaires aériennes.

Vous trouverez ci-après quelques réflexions et perspectives d’actions de l’association « AVEC Besançon » consécutives au crash de l’avion Beechcraft 90 survenu le 19 octobre 2006 à 0h 40 en bout de piste de l’aérodrome de Besançon / La Vèze, lequel fit 4 victimes, dont un chef de clinique et un interne du CHU de Besançon qui partaient prélever un foie à Amiens.

Outre les actions visant à ce que justice soit faite, les familles des victimes et les adhérents de l’association souhaitent qu’un tel accident ne se reproduise plus jamais en de pareilles circonstances.

A cet effet, l’association « AVEC Besançon » a donc aussi pour objet d’engager ou participer à des actions de prévention afin d’améliorer la sécurité des personnels intervenant dans le cadre de missions médicales d’urgence, notamment aériennes.

Problématique.

Les actions à vocation préventive s’articulent autour de sujets récurrents réactivés par le drame de Besançon et résumés pour partie par les observations suivantes :

- > Les équipes de prélèvement d’organes qui se déplacent pour prélever interviennent dans des conditions souvent délicates et difficiles.

- > Durant leur transport les équipes de prélèvement d’organes s’exposent à des risques particuliers de nature périlleuse.

- > Pour sauver la vie d’un malade en attente de greffe, ne faut-il pas lors des déplacements d’abord préserver celle de ceux qui précisément s’emploient à prélever et à transplanter ?

- > Existe-t-il en France une réglementation spécifique aux missions sanitaires aériennes réalisées par avion ?

- > Par extension, existe-t-il des règles et des critères de sécurité spécifiques aux transports des équipes médicales de prélèvement d’organes en déplacement comparativement à celles des SAMU et / ou SMUR ?

Enseignements du crash de Besançon :

Le crash de Besançon a révélé plusieurs lacunes et négligences dont notamment :

- > Les statuts temporaires particulièrement précaires en matière de protection sociale des internes et des chefs de clinique avec pour conséquence l’absence d’une couverture assurantielle pour les intervenants du CHU.

- > L’inadéquation sociale des statuts des internes pour ce type de mission.

- > Un appel d’offre pour le choix du transporteur aérien très succinct, assorti d’aucune clause d’exigence de sécurité et de qualité de prestation concrètement mesurables. Le marché fut adjudiqué au moins disant, sans critères de pondération précis de l’offre technique.

- > La présence aux commandes d’un pilote commandant de bord peu expérimenté pour ce type de mission, qui présentait de sérieuses lacunes techniques, et qui ne possédait pas les titres requis pour ce vol.

- > L’absence de dispositions réglementaires et de règles de sécurité spécifiques au transport des équipes de prélèvement d’organes en déplacement.

Les statuts précaires suscitèrent légitimement un vif émoi et de nombreuses réactions au sein de la communauté médicale. Ainsi deux ans plus tard, fin 2008, fut mise en place une convention d’assurance s’adressant à tout professionnel hospitalier, titulaire ou pas, quel que soit son grade, amené à se déplacer pour prélever. Cette convention fut étendue au personnel des SAMU - SMUR.

Si bien évidemment l’association s’est réjouie de cette avancée, pour autant doit-on se contenter et se satisfaire uniquement de l’élémentaire existence d’une couverture assurantielle en cas d’accident, sans adopter et appliquer avant tout des dispositions visant à ce que l’accident ne se produise pas ?
Les conclusions de l’enquête technique.

Les faits et circonstances du crash de Besançon, sont détaillés dans le rapport de l’enquête technique et de sécurité du BEA (Bureau d’Enquêtes et Analyses)

Le Bureau d’Enquêtes et d’Analyses (BEA) pour la Sécurité de l’Aviation civile est l’autorité responsable des enquêtes de sécurité dans l’aviation civile.

L’enquête de sécurité qui a pour seul objet de prévenir les accidents et les incidents, comprend la collecte et l’analyse de renseignements, l’exposé des conclusions, y compris la détermination des causes et/ou des facteurs contributifs et, s’il y a lieu, l’établissement de recommandations de sécurité (Règlement européen 996/2010 article 2 alinéa 14).

Recommandation de sécurité du BEA. Axes de prévention potentiels.

Aéronef

Outre l’élaboration de scénarii et hypothèses visant à tenter d’expliquer les circonstances de l’accident, le BEA dans son rapport évoque les importantes difficultés des missions aériennes sanitaires qui induisent une charge de travail importante au pilote et nécessitent un niveau de compétence élevé. Voir extrait ci-après de la page 25 du rapport du BEA :

2.2 Les conditions générales d’exploitation en transport sanitaire.
« Le transport sanitaire, tel que prévu dans le contrat liant Flowair Aviation à l’hôpital de Besançon, est une mission cumulant des difficultés importantes, notamment :
- le court préavis qui nécessite une grande disponibilité du pilote et implique une capacité permanente à effectuer son vol « à toute heure du jour ou de la nuit ».
- les conditions du transport « quelles que soient les conditions météorologiques » et la nécessité éventuelle d’atterrir et de décoller de nuit sur un aérodrome inconnu et peu équipé. Ces conditions impliquent une bonne maîtrise des techniques de pilotage, notamment aux instruments ;
- la gestion d’un vol non régulier qui peut rapidement devenir complexe en cas d’aggravation des conditions météorologiques ou d’événement impliquant un déroutement.
- la pression sur le pilote suscitée par l’enjeu d’une intervention médicale vitale.
D’une manière générale, le pilotage de l’avion en mono pilote dans ce type de mission induit une charge de travail importante et nécessite donc un niveau de compétence constant et élevé ainsi qu’une conduite du vol rigoureuse. Le projet de pilotage à deux chez Flowair Aviation était de nature à faciliter une bonne exécution des vols en toutes circonstances. »

En page 31 de son rapport, le BEA a produit plusieurs recommandations de sécurité dont notamment :

Recommandations de sécurité.

" Le transport sanitaire à la demande exige une compétence élevée, immédiate et constante du pilote, compte tenu de l’enjeu et des difficultés caractéristiques de ce type de mission. L’exploitation en équipage à deux permettrait de soulager le commandant de bord de la pression particulière inhérente à ce genre de vol et d’assurer une meilleure surveillance de la conduite du vol, notamment de nuit. Or la fonction de second pilote ne peut être assurée par la seule présence d’un autre pilote à bord, sans procédures ni répartition des tâches formalisées ; cela peut, au contraire, constituer un facteur de risque. »

En conséquence, le BEA recommande que : l’AESA étudie l’élargissement des conditions imposant la présence d’un équipage à deux pilotes en transport sanitaire."

Conformément à la législation, les recommandations du BEA ont été prises en compte par la Direction Générale de l’Aviation Civile (DGAC).Lien vers le site de la DGAC et copie du contenu ci-après :

=> Suites données aux recommandations de sécurité Accident survenu le 19 octobre 2006 à Besançon - La Vèze (25) à l’avion Beechcraft C 90 immatriculé F-GVPD exploité par Flowair Aviation.

Recommandation 01 :

BEA (extrait) : Le transport sanitaire à la demande exige une compétence élevée, immédiate et constante du pilote, compte tenu de l’enjeu et des difficultés caractéristiques de ce type de mission. L’exploitation en équipage à deux permettrait de soulager le commandant de bord de la pression particulière inhérente à ce genre de vol et d’assurer une meilleure surveillance de la conduite du vol, notamment de nuit. Or la fonction de second pilote ne peut être assurée par la seule présence d’un autre pilote à bord, sans procédures ni répartition des tâches formalisées ; cela peut, au contraire, constituer un facteur de risque.
En conséquence, le BEA recommande que : l’AESA étudie l’élargissement des conditions imposant la présence d’un équipage à deux pilotes en transport public.

Réponse de la DGAC : Au travers des instances appropriées comme l’AGNA, la DSAC demandera à l’AESA que cette tâche soit formellement intégrée dans le programme de travail réglementaire. La DSAC sera particulièrement attentive à l’étude d’impact notamment en prenant en compte les conséquences de la mise en œuvre d’une telle recommandation sur le coût des vols sanitaires.
L’AESA a accusé réception des différentes recommandations concernant l’accident du F-GVPD. Une tâche réglementaire associée à la présente recommandation a été introduite dans l’inventaire Rulemaking de l’Agence. Il s’agit de la tâche OPS.062, "addressing Second pilot requirement for air ambulance flights with aeroplanes".

Ce point clôture le suivi par la DGAC de la recommandation.

Il apparait donc très concrètement que suite aux enseignements techniques tirés du crash de Besançon, l’Agence Européenne de Sécurité Aérienne a validé le projet d’une réglementation qui imposerait un équipage à deux (donc 2 pilotes qualifiés pour le type d’appareil, la nature du vol et formés aux procédures de vols en équipage) pour les missions aériennes "air ambulance". (terminologie anglophone des missions aériennes sanitaires à distinguer des missions aériennes sanitaires héliportées).

Pour bien percevoir l’importance de cette future recommandation, il faut savoir que les avions embarquant moins de 9 personnes sont classés mono pilote. Ceci signifie que la réglementation aérienne actuelle n’impose pas la présence d’un véritable copilote, ce qui n’exclut pas pour autant que l’organisation d’une compagnie aérienne le prévoie et que les procédures de son organisation soient approuvées par la DGAC.

L’analyse des faits, les recommandations du BEA et les dispositions précédemment évoquées qui en découlent, sont donc autant de réponses claires et formelles pour qui voudra bien méditer sur la dangerosité auxquelles s’exposent les équipes médicales de prélèvement d’organes lorsqu’elles se déplacent, notamment par voie aérienne !

Pilote

Alors que le BEA a souligné le nécessaire niveau de compétence élevé des pilotes pour ce type de mission, étrangement aucune recommandation sur ce registre n’a été produite.

Compte tenu de la nature de ces vols et des difficultés précédemment évoquées, à l’évidence la compétence et l’expérience du pilote apparaissent comme des pré requis incontournables.

Cependant en l’absence d’une obligation réglementaire ou d’une exigence expresse du passeur d’ordre du marché contractuel, juridiquement rien n’impose que le pilote de l’appareil soit confirmé et reconnu expérimenté. Donc un pilote débutant, inexpérimenté ou présentant de sérieuses lacunes techniques peut se retrouver aux commandes de l’appareil sans que cela soit contestable.

Il convient également de noter que le nombre d’heures de vol cumulées ne peut être à lui seul un indicateur de compétence et d’expérience puisqu’il faut différencier la nature du vol (fret ou transport de passagers), les vols de jour, les vols à vue, les vols aux instruments et les vols de nuit, lesquels constituent la grande majorité des déplacements des missions de prélèvement.

Lors de l’accident de Besançon, le pilote qui était aux commandes ne possédait, en qualité de commandant de bord en transport de personnes, que 210 heures de vol sur avion multi moteurs dont 140 sur avion type Beechcraft 90.

Au titre de comparaison, pour les vols « air ambulance » la réglementation en vigueur aux USA exige au moins 1000 heures d’expérience en transport de personnes en qualité de commandant de bord, dont au moins 500 heures multi moteurs avec au moins 100 heures de nuit. (Source Commission on Accreditation of Medical Transport Systems 8th Edition Accreditation Standards).

Les conclusions édifiantes de cette comparaison interpellent !

Nous ne pouvons donc pas nous satisfaire d’un projet d’une réglementation pour les vols sanitaires visant à l’imposition d’un équipage à deux, sans qu’il y soit associé une réglementation inhérente à la compétence, à l’expérience du pilote et à leurs suivi, comme cela est déjà en pratique dans certains pays !

Cahier des charges des prestations. Clauses contractuelles.
La problématique très technique de la sécurité des missions aériennes sanitaires qui s’articule autour d’une réglementation complexe et d’une sémantique juridique aigue, expose à leur dépends les personnes intervenantes sur ces types de marchés à des manquements graves et lourds de conséquences en cas d’accident.

Ainsi par exemple, certains appels d’offres de CHU pour les transports aériens d’équipes chirurgicales :

-  stipulent que le pilote doit être qualifié IFR. Hors cette précision est insuffisante car il faut préciser licence IFR permettant les opérations de transport public de passager.
-  ne stipulent pas que l’appareil doit être équipé du matériel pour vol aux instruments (IFR), ce qui laisse donc la possibilité qu’il soit réalisé en VFR (à vue) !

Par ailleurs, comme certains CHU le pratiquent, exiger un équipage avec copilote n’est point suffisant car, comme déjà évoqué, la compagnie aérienne peut avoir une organisation de ses vols avec un copilote non qualifié pour l’appareil, qui effectue un certain nombre de tâches afin de soulager la charge du commandant de bord conformément aux procédures internes de la compagnie.

Dans ce contexte, en cas de difficulté majeure ou de malaise du pilote commandant de bord en fonction, la personne assise sur le siège droit du cockpit faisant office de copilote serait donc réglementairement inapte à prendre les commandes.

L’exigence d’un copilote qui pourrait totalement se substituer au pilote, comme chacun le conçoit, doit donc nécessairement préciser copilote qualifié pour l’appareil, la nature du vol ainsi que vol en équipage.
C’est précisément cette nuance qui est à la base de la recommandation en cours d’élaboration par l’AESA évoquée précédemment.

Ces quelques lignes suffisent à souligner les subtilités sémantiques de ce sujet complexe que seuls quelques initiés maîtrisent totalement, et encore……

D’où l’importance des cahiers des charges des appels d’offres dont le contenu doit être des plus complets et détaillés au regard du code des transports et du code de l’aviation civile.

A cet effet le ministère de la santé en juillet 2009 a publié une circulaire et un dossier type afin de faciliter la passation de marchés de prestations de transports sanitaires aériens.
Cette circulaire ne concerne hélas que les vols héliportés !

En conclusion :

Sur le strict registre préventif, les enseignements du crash de Besançon et les dispositions correctives relatives aux vols aériens « air ambulance » engagées par les instances de l’aéronautique Européenne risquent de n’apporter, in fine, aucune disposition réglementaire concrète visant à améliorer la sécurité des missions de prélèvement d’organes puisqu’elles ne sont point considérées comme des missions médicales sanitaires !

Au simple motif que les missions des équipes chirurgicales qui se déplacent par voie aérienne pour prélever un organe ne sont point assimilées à une mission sanitaire, il serait plus qu’absurde que réglementairement ces missions soient moins sécurisées que les vols « air ambulance » puisque directement en amont au service de la vie des malades en attente de greffe.

Face à toute cette problématique et à ces constats, il ne pourra y avoir de réponses suivies de véritables améliorations et progrès, qu’à la seule condition que les acteurs et les autorités concernées veuillent bien objectivement produire les bonnes analyses et reconnaître les manques et insuffisances.

« AVEC Besançon » n’a pas prétention à vouloir porter et acter des changements profonds à elle seule. Ce n’est point son rôle, elle n’en a ni la compétence, ni la capacité.

Cependant, à la lumière des éléments invraisemblables que révèlent les pièces versées aux dossiers des procédures juridiques en cours près les tribunaux correctionnel et administratif,
« AVEC Besançon » s’emploie à ce que plus jamais un drame comme celui de Besançon ne se reproduise, car l’accident de Besançon ne fut point fatalité.

En communiquant sur les faits et circonstances, et en pointant certaines lacunes et carences, « AVEC Besançon » souhaite sensibiliser et démontrer qu’il y a de substantiels facteurs de progrès pour améliorer la sécurité des équipes de prélèvement d’organes lors de leurs déplacements.

Au titre de la prévention, l’association « AVEC Besançon » s’attache à informer, à révéler les insuffisances et à impulser des pistes de progrès et d’améliorations possibles.

Toutefois il appartient aux représentants et aux autorités de tutelle de cette noble profession au service de la transplantation, ainsi qu’aux législateurs de la réglementation aérienne, de s’impliquer pour que les évolutions deviennent réalité.

Mémorandum de l’association AVEC Besançon le 5 mars 2012


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