Comment les victimes du 13-Novembre s’adaptent aux commémorations confinées

Par Annabel Benhaiem
12/11/2020 21:33 dans le HUFFPOST

Les associations de victimes sont unanimes : elles ressentent frustration et tristesse à l’occasion du cinquième anniversaire qui tombe en plein confinement.

TERRORISME - La crise sanitaire emporte tout sur son passage, même la commémoration des guerres ou des attentats. Les cérémonies qui devaient se tenir cinq ans après le 13 novembre 2015 ont été chamboulées.

Ni rassemblement de familles ou de proches sur les lieux des attentats ni marche commune d’un lieu à l’autre, encore moins d’embrassades ni d’accolades...

La mairie de Paris a prévu, à partir de 9h15, une déambulation sur les lieux des attentats, mais en comité restreint, avec sept personnes seulement : la maire, le préfet de police, les deux présidents des associations de victimes, Life for Paris et 13onze15, ainsi que trois membres du gouvernement (Jean Castex, Gérald Darmanin et Éric Dupond-Moretti). Et pour les autres, ce sera sur Youtube.

“Compte tenu de la situation sanitaire, explique la ville de Paris au HuffPost, il a été décidé avec les associations de victimes, et à leur demande, que ces cérémonies se tiendraient en format réduit -compatible avec les contraintes sanitaires. Un message a été transmis à toutes les familles de victime, toujours en lien étroit avec les associations. Une retransmission sera assurée par la Ville.”

Les victimes acceptent sans “déclaration belliqueuse”

Il fallait s’y attendre, mais la nouvelle organisation reste difficile à accepter pour les victimes et leur entourage. D’autant que ce 13 novembre 2020 marque une date symbolique : les 5 ans des attentats.

Les années précédentes, les cérémonies se voulaient rassembleuses et symboliques. Un cortège d’une vingtaine de personnes, comprenant les représentants de la nation et des victimes, commençait au stade de France, faisait le tour des terrasses, et finissait devant le Bataclan. Devant chaque lieu, les noms des victimes étaient lus et des gerbes de fleurs déposées, et surtout, les familles et les proches de victimes qui le souhaitaient se retrouvaient sur ces lieux pour se parler.

“Le désarroi est grand chez les familles et les proches de victimes, remarque Arthur Dénouveaux, président de l’association Life for Paris, mais nous avons tenu à ne pas demander de dérogation, cela ne nous paraissait pas correct compte tenu du confinement. Avoir droit à une exemption n’enlève rien à notre chagrin. Et la bienveillance de la nation à notre égard est assez importante, alors nous avons décidé de faire preuve en tant qu’association d’une certaine sagesse sur le sujet.”

Même son de cloche chez 13onze15. Son président, Philippe Duperron, précise : “Nous aurions pu faire de multiples déclarations belliqueuses en disant que c’est inacceptable de refuser aux victimes de se recueillir à 5 ans des attentats, mais ce n’est pas le positionnement que nous avons choisi depuis le début de notre existence. Cette crise sanitaire, tout le monde la vit de la même manière, le confinement est imposé à tous.”

Commémorations 2.0

Afin d’éviter aux familles et aux proches de se sentir exclus, les deux associations ont mis les bouchées doubles pour faire de cet anniversaire un moment commun.

Chez Life for Paris, il a été prévu de “donner des jalons et des repères dans la journée, explique Arthur Dénouveaux, pour rappeler qu’il y aura toujours des gens qui penseront à la même chose au même moment”. Ainsi, “le matin, la cérémonie sera retransmise sur Youtube, sans commentaire et sans voix off, puis on mettra à destination de nos adhérents les cérémonies des années précédentes, les gens seront peut-être contents de retrouver des commémorations plus normales, plus humaines, sans masques, où on pouvait se prendre dans les bras.”

“À 18h30, on organise un Zoom géant, puis un concert en streaming avec le groupe Queens of the stone age, pour mener à bien une levée de fonds”, ajoute-t-il. Un badge, visible ci-dessous, va également être envoyé à tous les adhérents. “Le rameau d’olivier représente l’arbre de paix dévoilé l’an dernier lors de nos commémorations et qui constitue la première pierre du futur mémorial. Les ballons représentent ceux envolés lors de nos premières cérémonies pour symboliser les disparus”, précise Arthur Dénouveaux.

Du côté de 13onze15, la réflexion est menée depuis un long moment. “Sur les grilles du jardin qui fait face au Bataclan, détaille le président Philippe Duperron, nous avons monté une exposition photo pilotée par Laura Serrani. Nous avons demandé à 42 artistes de nous proposer deux photos, l’une le jour du drame, avant qu’il ne se produise, l’autre le lendemain, pour figurer le basculement d’un quotidien presque tranquille à l’horreur.”

De cette expo est tiré un livre-catalogue vendu sur le site de l’association. Sur Instagram, une campagne a été lancée pour publier une photo symbolisant le drame. Une seule consigne : aucune photo des attentats, ni des témoignages, fleurs, papiers, bougies présents les jours qui ont suivi.

Reste une question : ces commémorations confinées joueront-elles le rôle que les associations leur attribuent généralement ?

Les attentats du 13-Novembre se sont déroulés il y a 5 ans. Or, 5 ans est une étape importante dans le travail de deuil. “À l’Association française des victimes du terrorisme, souligne Guillaume Denoix de Saint-Marc, nous marquons les 1 un, les 2 ans, les 5 ans, puis les 10 ans après l’événement. Ce sont des moments particuliers. Et celui des 5 ans annonce le début d’une prise de recul dans la manière d’aborder le drame. C’est aussi un moment où l’on intègre ce qui s’est passé sans le nier.”

“Les cérémonies ont ceci d’important, continue le président de l’association, qu’elles permettent aux proches de discuter avant et après, d’échanger, de prendre des nouvelles des personnes pas vues depuis un an.″

“Les cérémonies c’est comme les procès”

La disparition cette année de ces moments précis est un phénomène qui inquiète également la Fenvac (Fédération nationale des victimes d’attentats et d’accidents collectifs). Sa directrice, Sophia Seco, explique au HuffPost : “Pour être confrontés à cette difficulté depuis presqu’un an maintenant, nous remarquons que pour les personnes endeuillées, pour qui la mémoire est quelque chose d’essentiel, tout ceci reste difficile à accepter. Cela vient altérer le rituel annuel où les victimes se réunissent pour communier. Les cérémonies, c’est comme les procès, ce sont des temps forts dans l’après-drame qui constituent des piliers de la reconstruction et quand on vient les modifier cela génère déception, frustration et colère.”

Si l’association explique tout à fait entendre les raisons des modifications, elle souligne à quel point tous ces chamboulements compliquent le rétablissement de ces personnes. “D’autant que le confinement a suspendu le suivi psychologique de certaines personnes alors qu’il était salvateur. A la Fédération, nous sommes restés en veille pour les personnes en détresse. L’isolement vient aggraver et faire renaître l’anxiété. Ajoutons à cela les deux attentats qui ont eu lieu pendant le confinement, et vous avez une atmosphère contre productive avec des répercussions en cascade sur le processus de la reconstruction.”

Ainsi, à l’AFVT comme dans toutes les associations de victimes, on espère vivement que l’an prochain se déroulera comme avant.

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