CRASH DE CHARM EL-CHEIKH : PREMIÈRE MISE EN EXAMEN DIX-HUIT ANS APRÈS LE DRAME ET SES 148 MORTS

EXCLUSIF. L’ancien directeur général de Flash Airlines, la compagnie low cost égyptienne qui exploitait l’avion tombé dans la mer Rouge en janvier 2004, tuant 148 personnes dont 135 touristes français, est soupçonné d’homicides involontaires. Il conteste les faits.

Par Timothée Boutry
Le 4 janvier 2022 à 14h28 dans le Parisien

Pour les familles des victimes, c’est un cadeau de Noël attendu depuis des années. Selon nos informations, près de dix-huit ans après le crash de Charm el-Cheikh (Égypte) qui a fait 148 morts dont 135 Français le 3 janvier 2004, l’ancien directeur général de la compagnie aérienne égyptienne Flash Airlines qui exploitait l’appareil a été mis en examen à Paris pour « homicides involontaires » en décembre 2021. C’est la première mise en examen dans ce dossier tentaculaire. Après plusieurs tentatives infructueuses, Mohamed Nour s’était rendu à la convocation d’un juge au mois de septembre 2021.

L’ancien patron de Flash Airlines, une compagnie à bas coût liquidée aussitôt après le crash, avait alors été placé sous le statut de témoin assisté à l’issue de son audition. Mais le juge d’instruction du pôle accidents collectifs du tribunal judiciaire de Paris chargé du dossier a estimé que les charges étaient désormais suffisantes pour modifier son statut, une démarche qui peut s’effectuer sans nouvelle convocation.

« C’est une grande nouvelle », réagit Isabelle Manson, la présidente de l’association des familles du crash qui se sont rassemblées lundi devant le Mémorial des victimes au cimetière du Père-Lachaise, à Paris. « Pendant très longtemps on a eu le sentiment de ne pas être entendus par la justice sans compter que l’Égypte n’a jamais collaboré. Or, grâce aux différents rapports, on sait depuis longtemps que la compagnie n’avait pas respecté un certain nombre d’obligations. Cette mise en examen est une première étape mais une étape importante », développe cette femme qui a perdu quatre membres de sa famille dans l’accident.

Le 3 janvier 2004, moins de cinq minutes après son décollage de Charm el-Cheikh, le Boeing 737-300 qui doit ramener à Paris les 135 touristes français venus passer le réveillon dans cette station balnéaire de la Mer rouge, s’abîme en mer. Les 148 passagers et membres d’équipage périssent.

Un problème de formation de l’équipage

Une enquête judiciaire est ouverte à Bobigny (Seine-Saint-Denis). Les investigations mettent directement en cause les fautes commises par l’équipage. En 2008 puis en 2010, deux rapports relèvent un problème de formation. « Son expérience précédente et sa courte formation en ligne ne permettaient pas un lâcher immédiat dans la fonction de commandant de bord », estime le rapport au sujet du pilote. La situation de son coéquipier n’est guère plus rassurante : « La formation du copilote sur 737-300 a été extrêmement sommaire et son entraînement en ligne très insuffisant pour compenser son inexpérience. »

Il apparaît surtout que les deux membres d’équipage n’ont pas suivi la formation dite CRM (« crew ressource management »), un module focalisé sur la gestion humaine de prise de décision. « La dispense de cette formation est pourtant obligatoire, rappelle Isabelle Manson. Un an avant la catastrophe, lors d’un audit, l’aviation civile égyptienne avait d’ailleurs rappelé à la compagnie la nécessité de cette formation. En janvier 2003, cela n’avait toujours pas été le cas. Or on a constaté que les pilotes s’étaient comportés de manière très approximative au moment de l’accident. »

En dépit de ces conclusions, les juges d’instruction de Bobigny rendent un non-lieu en juillet 2017, conformément aux réquisitions du parquet. Les magistrats concluent que l’enquête ne permet « pas de retenir d’autre hypothèse que celle des fautes imputables à l’équipe de pilotage », décédée dans le crash et donc que toute poursuite était impossible.

Il veut contester sa mise en examen

« Nous avions immédiatement fait appel de ce non-lieu, rappelle Me Jean-Pierre Bellecave, l’avocat de l’association de victimes. Selon nous, les dirigeants de Flash Airlines ont une responsabilité directe dans tous les manquements relevés par l’enquête. » En septembre 2019, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris donne raison à l’association. Les magistrats estiment que les démarches des juges de Bobigny pour entendre l’ancien directeur de Flash Airlines n’ont pas été suffisantes.

Le dossier et ses 37 tomes sont renvoyés pour supplément d’information vers un juge d’instruction parisien du pôle accident collectifs, créé en 2015. Consigne est donné de tout faire pour auditionner Mohamed Nour et de le confronter aux expertises ciblant les manquements de la compagnie. Ce qui fut chose faite fin septembre. Sa récente mise en examen laisse indiquer que la justice lui impute une responsabilité directe dans l’enchaînement ayant abouti à cette catastrophe.

Mohamed Nour ne l’entend évidemment pas ainsi. « Cette accélération de l’enquête est éminemment critiquable. Sa mise en examen très tardive dans un dossier aussi vertigineux rend sa défense matériellement impossible », pointe d’emblée son avocat Me Julien Andrez du cabinet Ayache. Sur le fond, l’ancien patron de Flash Airlines conteste les charges qui pèsent désormais sur lui. « Il est anéanti. Il estime que tout ce qu’on lui reproche ne relève pas de sa compétence mais de celles des autorités de l’aviation civile égyptienne, explique Me Andrez, qui va contester la mise en examen devant la chambre de l’instruction. Il ne s’agit évidemment pas de nier le caractère tragique de ce dossier mais on a l’impression que, faute d’avoir trouvé un coupable, la justice s’est employée à marche forcée à mettre un visage sur les souffrances des familles des victimes. »

Nous soutenir

C’est grâce à votre soutien que nous pouvons vous accompagner dans l’ensemble de vos démarches, faire évoluer la prise en charge des victimes par une mobilisation collective, et poursuivre nos actions de défense des droits des victimes de catastrophes et d’attentats.

Soutenir la FENVAC

Ils financent notre action au service des victimes