L’UN DES PIRES NAUFRAGES DE L’HISTOIRE RACONTE PAR UN VAUDOIS

Stefano Boroni se sert de la fable pour se souvenir du drame du Joola qui fit près de 2000 morts au large du Sénégal en 2002. Dont un ami à lui.

Stefano Boroni nous avait séduit avec son précédent album, « Capitao », qui traitait des missionnaires suisses au Mozambique. Cette fois, ce Tessinois qui vit au Mont-sur-Lausanne (VD) parle encore de l’Afrique. Il évoque l’un des pires drames de la marine civile, le naufrage en 2002 du ferry le Joola qui reliait Ziguinchor, en Casamance, à la capitale sénégalaise, Dakar. Le bateau, qui n’aurait pas dû transporter plus de 500 passagers, en avait plus de 2000 à son bord. Une tempête tropicale va le coucher en pleine nuit. Il se retournera en cinq minutes. Seules 69 personnes survivront.

Pourquoi Stefano Boroni, qui contrairement au Mozambique, n’a jamais posé les pieds au Sénégal, s’est-il intéressés à ce drame avec sa nouvelle BD, « Que la mer vous soit légère ». « Parce que j’avais un ami à bord, Domizio Lepori, scénographe, qui était au Sénégal pour monter « Antigone. » Lui et sa compagne ont péri dans le naufrage ». Il aura fallu 20 ans pour que le dessinateur parvienne à trouver le ton, le récit, l’envie et peut-être le courage d’aborder ce drame. Un peu comme ce père qui, nous raconte-t-il, est venu réclamer des dédommagements pour son enfant disparu dans le naufrage, huit ans après. « Quand on lui a demandé pourquoi seulement maintenant, il a répondu : parce que ce n’est que maintenant que je réalise vraiment que je ne le verrai plus jamais ».

Récit depuis le fond des eaux
L’ami du dessinateur n’est pas représenté dans le livre. Le naufrage non plus d’ailleurs, pas réellement. « Je ne voulais pas, je ne pouvais pas raconter le drame. J’ai plutôt eu envie de faire comme dans le film « La vie est belle », qui parle des camps nazis sur le ton de la fable. Le Joola, on va donc le voir depuis en dessous, depuis le fond marin, où se retrouvent plusieurs victimes. Un peu comme dans une sorte de purgatoire. Le capitaine, la voyante, le soldat, le rebelle, le footballeur ou encore Antigone vont se demander ce qui leur est arrivé et chercher s’il existe un moyen de remonter. Cette petite troupe est un résumé de la société sénégalaise de l’époque et donne des indices sur ce qui a pu provoquer un drame resté aussi étrange que le temps qu’il a fallu aux secours pour arriver sur place.

« La présence du petit footballeur rappelle que le Sénégal nageait encore dans l’euphorie d’avoir battu, quelques mois plus tôt, la France championne du monde lors du Mondial 2002 ». Le drame va abattre un voile de tristesse sur le pays. « Je voulais, en dessinant ce récit, donner de la douceur, de la vie, de l’espoir à ceux qui ont été touchés par cette catastrophe. Car le Joola, c’est l’histoire d’un abandon ».

Boroni a choisi le noir et blanc. « Peut-être parce que la BD est un art où il manque toujours quelque chose, ici peut-être la couleur pour certains lecteurs, alors que je trouve que cela rend le récit plus sobre ». De la couleur, il y en a dans cet album, sauf qu’elle ne vient pas de lui. Chaque chapitre s’ouvre sur un dessin d’un autre auteur, et pas n’importe qui : Rosinski, Cosey, Jean-Louis Tripp ou encore Tirabosco. « Je me suis dit que quelques grands noms feraient un coup de pub à l’album » dit candidement Stefano Boroni. Cela fait bien plus que cela : c’est comme un formidable lever de rideau avant chaque acte. « Au début, tous ces artistes que j’ai contactés et qui ont accepté de faire un dessin, je voulais leur demander le même plan, celui qu’a fait Rosinski, où l’on voit le bateau et des âmes en sortir. Mais Tripp m’a conseillé de laisser à chacun faire ce qu’il voulait et il a eu raison ».

Se rendre à Ziguinchor pour la mémoire
L’histoire du Joola n’est pas terminée. Un mémorial est en cours de construction à Ziguinchor, pour rendre hommage aux presque 2000 victimes du drame. « Ils m’ont invité pour y exposer mes planches une fois qu’il sera fini ». Et, comme cet album est le résultat d’une collecte de fonds, les droits d’auteur seront reversés à l’Association nationale des victimes et rescapés du Joola.

Crédit photos : Article rédigé par Michel Pralong sur le site lematin.ch

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