Procès de l’attentat de Magnanville : la troublante personnalité de l’accusé Mohamed Lamine Aberouz

La cour d’assises spéciale de Paris s’est penchée pendant deux jours sur la personnalité du seul homme jugé lors de ce procès. Il est soupçonné de complicité avec le terroriste Larossi Abballa, tué par le Raid le soir des faits.

Il a répondu pendant plus de quatre heures aux questions, sans faiblir. Mohamed Lamine Aberouz, jugé devant la cour d’assises spéciale de Paris pour complicité dans l’assassinat, en juin 2016, du couple de policiers Jean-Baptiste Salvaing et Jessica Schneider, sous les yeux de leur fils de 3 ans, à Magnanville (Yvelines), s’est plié avec pugnacité à l’exercice de l’interrogatoire de personnalité, mardi 26 septembre. L’accusé avait donné le ton la veille, en déclarant espérer "être écouté" pendant son procès. Depuis sa mise en examen dans ce dossier, il clame son innocence et nie avoir porté assistance au terroriste Larossi Abballa, tué dans l’assaut du Raid.

Si l’interrogatoire ne portait pas (encore) sur les faits, les questions des magistrats et des avocats ont slalomé entre l’"engagement religieux" de l’accusé et ses liens avec l’idéologie jihadiste de l’organisation terroriste Etat islamique. En plus d’être soupçonné d’avoir été présent le jour de l’attentat dans le pavillon des policiers, sur la foi d’une trace ADN, Mohamed Lamine Aberouz est considéré par l’accusation comme le mentor du terroriste.

Derrière ses épaisses lunettes noires, buvant une gorgée d’eau de temps à autre, Mohamed Lamine Aberouz a répondu point par point, empruntant parfois des chemins de traverse pour justifier sa vision de l’islam et de la France.

Un frère aîné "figure d’autorité"

Invité à se décrire en "quelques mots" par le président, le trentenaire aux longs cheveux bruns noués en catogan et à la barbe sans moustache, dresse un portrait un peu lisse : "Je suis l’avant-dernier d’une fratrie de cinq enfants. Mon enfance, ce n’était pas la meilleure, mais pas la pire non plus. J’ai eu quelques difficultés à l’école."

"En ce qui concerne ma personnalité, je me considère aujourd’hui comme quelqu’un de plus posé, réfléchi. J’essaie d’aborder les choses avec un certain optimisme, de voir mes erreurs."

En écho à la description de l’enquêtrice de personnalité la veille, Mohamed Lamine Aberouz raconte les "difficultés économiques" de la famille, entre un père aux "trois-huit" et une mère qui "faisait des ménages". Ses parents, "illettrés", confient la gestion de l’école aux aînés. Le cadet dit avoir souffert de sa "timidité" et des "moqueries" liées à sa myopie, qui l’empêchait d’y voir clair en classe. Les "absences prolongées" du père au Maroc, à partir de sa retraite, aboutissent à la séparation du couple parental.

A partir du collège, les notes de Mohamed Lamine Aberouz dégringolent et son comportement change. "Perturbateur, insolent, bagarreur", liste l’enquêtrice de personnalité à la barre. L’intéressé répond "crise d’adolescence", et confie qu’il dissimulait "les mots dans le carnet de correspondance" pour éviter une rouste du grand frère, Charaf Din Aberouz. Ce dernier, qui sera condamné en 2013 lors du procès d’une filière d’envoi de jihadistes au Pakistan et qui a bénéficié d’un non-lieu dans le dossier de l’attentat de Magnanville, fait "figure d’autorité, (...) en particulier en ce qui concerne l’école et la religion", selon l’enquêtrice.

Un séjour dans une école coranique en Mauritanie
Si les témoignages d’enseignants recueillis font état d’une "forte emprise de la religion" sur la famille, dépeignant un père qui refusait de serrer la main des femmes, Mohamed Lamine Aberouz nuance : "C’était un mélange de coutumes et d’islam. (…) On nous enseignait les interdits, pas voler, pas fumer, mais le cœur n’y était pas." Alors qu’il dit avoir "arrêté de faire la prière" après ses 10 ans, l’accusé renoue avec la religion après son exclusion du lycée professionnel pour une bagarre. "J’ai commencé à fréquenter la mosquée. J’ai constaté un apaisement et une tranquillité", expose-t-il, un bras appuyé sur la vitre du box.

Faute, dit-il, de trouver une entreprise pour un bac électrotechnique en alternance, Mohamed Lamine Aberouz s’envole en Mauritanie fin 2010, à 17 ans. Il est accueilli par une tante et un oncle, et intègre une école coranique "dans le désert, ambiance bédouins avec dromadaires et vaches. Quand j’étais là-bas, j’avais l’impression de revivre". Son retour, mi-2011, est précipité par l’arrestation de son grand-frère, revenu du Pakistan : "Ma mère a pris peur." Assurant ne pas avoir eu "les finances" pour repartir en Mauritanie, Mohamed Lamine Aberouz reprend ses études et continue de fréquenter assidûment les mosquées des Mureaux (Yvelines). Les imams diront de lui qu’il a "tendance à faire la leçon à tout le monde". "Je vois à quoi vous faites référence, mais je conteste", rétorque l’accusé au président, affichant sa parfaite maîtrise du dossier, après six ans passés à le consulter dans l’isolement de sa cellule.

"Est-ce qu’il vous paraît possible d’être musulman en France ?", attaque le magistrat. L’accusé s’en sort avec un sophisme : "Oui, on peut être musulman en France, car je suis en France et je suis musulman." Puis, Mohamed Lamine Aberouz développe sa pensée, non sans arrogance :

"Le fait que la France ne soit pas compatible, de mon point de vue, avec ma religion, ce n’est pas une surprise. Le prophète n’est pas né dans le Finistère."

L’accusé se veut "honnête" : le projet de vivre "dans un pays islamique" ne l’a jamais quitté. Pour lui, l’islam n’est "pas compatible" avec la démocratie, car "le musulman ne doit pas sortir de ce que l’islam légifère". Ce Franco-Marocain se considère avant tout comme "un musulman d’origine arabe". "Il n’y a aucune valeur française républicaine qui vous parle ?", insiste l’avocate générale. En cherchant bien, Mohamed Lamine Aberouz cite "la liberté d’expression". "Mais il y a la théorie et la pratique. On n’a de cesse de me reprocher ma liberté de conviction", oppose-t-il. Pour autant, il se défend d’avoir voulu rejoindre un jour les rangs de l’Etat islamique en Syrie : "C’est un Etat de guerre, ce n’est pas une vie tranquille, vous pouvez mourir à tout moment."

Audition mouvementée pour son épouse religieuse
C’est ainsi que Mohamed Lamine Aberouz, qui semble avoir réponse à tout, justifie un rapport de l’administration pénitentiaire pointant le fait "qu’il n’adhérerait pas à une démarche de déradicalisation". "Il s’agit de lutte contre la radicalisation violente. Or, je conteste les faits qui me sont reprochés et je n’ai pas l’intention de commettre de passage à l’acte", martèle-t-il.

Comment expliquer, dès lors, que son cœur ne batte que pour des femmes condamnées pour des projets d’attentat ? La veille, la cour a entendu Sarah Hervouët et Janna C. La première, ex-promise de Mohamed Lamine Aberouz, a écopé de vingt ans de réclusion dans l’affaire de l’attentat raté aux bonbonnes de gaz à Notre-Dame de Paris. La seconde a été condamnée en 2020 à sept ans de prison pour un projet d’attentat et s’est mariée religieusement, depuis sa cellule, avec Mohamed Lamine Aberouz en juin 2021. Ils se sont vus pour la première fois dans la salle d’audience lundi. La cour d’assises a assisté, médusée, au grand sourire de l’accusé découvrant son épouse vêtue d’un jilbeb bleu canard.

L’audition mouvementée de cette femme de 25 ans s’est avéré une épreuve pour la défense, dès le premier jour du procès. Refusant de prêter serment et de répondre à la plupart des questions du président, la jeune femme, sortie de prison il y a dix jours, estime, elle aussi, que "les valeurs de la République ne s’accordent pas" avec les siennes et souhaite faire sa hijra, c’est-à-dire quitter la France pour un pays où elle se sentirait plus libre de vivre sa religion. Le parquet général, qui a fait citer ce témoin, ne manque pas de lire des extraits du courrier échangé entre les amoureux, dans lesquels Mohamed Lamine Aberouz lui reproche de lire "des romans" et non "de la documentation religieuse". Interrogée sur son "évolution" depuis leur rencontre, Janna C. balance : "Je sais que dans ma religion, je suis une femme, et que donc je n’ai pas à combattre."

"Elle a des raisonnements assez binaires, mais vous l’avez vue hier, je ne peux rien lui imposer. Elle a un caractère bien plus trempé que moi", a tenté de rattraper mardi Mohamed Lamine Aberouz. Avant qu’elle ne quitte la salle d’audience, lundi soir, il lui avait demandé, visiblement ému : "Est-ce que je peux compter sur ton soutien jusqu’au bout ?" "Oui", avait soufflé Janna C., avant de filer.

Cet article est rédigé par Catherine Fournier pour Franceinfo.

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